LES PROFILS DES JEUNES

Par le passé, les jeunes embrigadés étaient des jeunes issus de l’immigration, fragiles, élevés en foyer pour la plupart, comme les frères Kouachi par exemple, de classe sociale défavorisée, vivant dans des banlieues avec le phénomène de ghettoïsation. Dans la représentation du grand public, c’est cette image qui est restée dans les esprits.

Mais, depuis quelques années, cette image ne correspond plus à la réalité. En effet, les techniques d’embrigadement numériques toujours plus performantes, permettent à l’Etat islamique de toucher une proportion de jeunes beaucoup plus importante que par le passé. Les profils de ces jeunes sont tous très différents :

Ils n’ont pas tous la même religion. Les jeunes peuvent venir de familles juives, chrétiennes, musulmanes ou encore athées. Les familles peuvent être pratiquantes ou non. Par exemple, Pierre Choulet, un jeune djihadiste français mort dans un attentat suicide en Irak il y a un an, venait d'une famille catholique pratiquante. Alors qu’Akim Ben, rattrapé à la frontière syrienne par son père, était issu d'une famille musulmane non pratiquante. D’après les chiffres du CPDSI (Centre de Prévention contre les Dérives Sectaires liées à l’Islam), entre 30 et 40 % de jeunes dans les rangs de Daech se sont convertis à l’islam. Cela peut s’expliquer par le fait que Daech ne demande pas aux jeunes de connaissance particulière sur l’islam, seulement d’adhérer à l’idéologie. Les conversions à l’Islam se font en grande majorité sur Internet. Elles peuvent aussi se faire à l'occasion de vraies rencontres très rapides et à l’abri des regards. Par exemple, les jeunes se retrouvent dans un parc ou au coin d’un immeuble. Ils doivent réciter quelques phrases du Coran en arabe, faire une prière et cela suffit. Le jeune est devenu musulman en quelques minutes seulement. Et comme le rappelle Edgar Morin dans le livre Qui est Daech ?, les conversions à l'Islam peuvent également se faire en prison où le discours islamiste fanatique est très présent.

Première de couverture du livre Qui est Daech ?

 

Sur les photos ci-dessous, vous pouvez voir Pierre Choulet. La première photo a été prise quand Pierre était en Irak. Il a envoyé cette photo à ses parents. Nous pouvons voir le drapeau de Daech en arrière plan. Sur la deuxième photo, la transformation de Pierre est flagrante. La photo à gauche montre que Pierre commence à se laisser pousser la barbe. Celle de droite a été prise à sa communion quand Pierre était enfant et encore catholique. L'inscription présente en blanc est une parole rapportée par son père, Gérard Choulet, à des journalistes dans le cadre d'une émission radio Europe 1.

*

La photo et le montage photo viennent d'un article fait par le journal Atlantico et publié le 20 févier 2015.

Les jeunes ne font pas tous partie de la même classe sociale. L’image d'un jeune issu d’un milieu populaire, voire défavorisé, ayant été embrigadé par les djihadistes, est une image qui rassure la société. Les parents se disent, malgré eux, que l’embrigadement est un phénomène qui n’arrive qu’aux autres et que leur enfant n’y sera jamais confronté. Mais cela n’est plus vrai. Daech réussit à toucher des jeunes issus de la bourgeoisie, comme des jeunes de classe moyenne et des jeunes de milieu populaire. Dans le reportage « Engrenage - Les jeunes face à l’islam radical » diffusé sur France 2 en juillet 2015, Rachel est présentée comme la fille d’une prestigieuse avocate qui vit dans un milieu aisé. Et dans ce même reportage, il y a Nora, dont la mère ne travaille pas et le père est maçon. Les deux adolescentes sont très différentes, mais elles se sont pourtant fait manipuler toutes les deux par l’Etat islamique. Dounia Bouzar, célèbre anthropologue et présidente du CPDSI, affirme qu'entre 40 et 60 % des jeunes embrigadés par Daech, sont issus de la classe moyenne. Ce chiffre reflète une dure réalité dont tout le monde doit prendre conscience : l’Etat islamique va au-delà des classes sociales. Dounia Bouzar et ses confrères ont également remarqué que quand les jeunes viennent d’un milieu populaire, les filles les plus touchées sont de bonnes élèves et les garçons les plus touchés sont des jeunes au chômage avec des difficultés d’insertion.

Pour ce qui concerne l’âge des victimes, la quasi-totalité des "candidats" a moins de 28 ans. Certaines victimes avaient seulement 13 ans quand elles se sont fait embrigader par l’état islamique. D'après le Midi Libre, en 2015, 43 % des jeunes endoctrinés avaient entre 18 et 21 ans, 20 % avaient entre 15 et 18 ans, 37 % avaient entre 21 et 28 ans.

Grâce à la progression des techniques d’embrigadement numériques, l’Etat islamique peut toucher tous les jeunes peu importe leurs lieux d’habitation. Le jeune peut tout autant habiter à Paris ou en province, dans un immeuble en barre en plein milieu d’une métropole ou dans un chalet à la montagne. Daech frappe partout. Cathy, 17 ans, habite dans un petit village reculé en Savoie avec sa famille ; elle n'a pas échappé à la manipulation du groupe islamique.

La carte ci-dessous montre comment tous les départements français sont plus ou moins touchés par la radicalisation.

La Voix du Nord, 29 juin 2015.

Pour ce qui est des motivations poussant les jeunes à tout quitter pour rejoindre la "terre promise", elles restent communes à un certains nombre de jeunes. Pour en savoir plus sur ce sujet, nous avons contacté Mohamed-Ali Adraoui, sociologue et politologue spécialiste du salafisme. Il a déjà eu l'occasion de rencontrer des personnes qui disaient sympathiser avec certains objectifs de l'Etat islamique et également certains jeunes qui sont partis en Syrie. D'après lui, "il y a une part de rêve, de défi. Il y a également une volonté d'être actifs, de militer voire de combattre. D'une autre part, la psychologie de nombreuses personnes choisissant  de rejoindre certains mouvements au Moyen-Orient est faite de ressentiments mais aussi de désirs de venir en aide à des populations opprimées. En outre, il existe une fascination pour la violence chez beaucoup, socialisée par les jeux vidés, les séries américaines où l'on parle de conspiration. L'univers social en France peut également être vécu comme dur et inique par rapport à certains groupes, comme les musulmans d'une manière générale."

Mohamed-Ali Adraoui (I Télé, 2014)

Les filles sont autant embrigadées que les garçons. Pour les jeunes filles, Daech apparaît comme une sorte de solution à leurs yeux dans un monde où elles doivent constamment faire des choix. L’Etat islamique leur impose des choix comme les heures de prières, leurs fréquentations, leurs tenues avec le port du niqab ou de la burka. Tout leur semble ainsi plus simple. La photo ci-dessous a été prise durant un entretien au CPDSI entre Dounia Bouzar et une jeune fille qui s'est radicalisée puis qui s'est faite embrigader.

LeMonde.fr, 6 janvier 2016

Malgré les nombreuses différences qui séparent les jeunes entre eux, des similitudes se dégagent de l’ensemble de leurs profils. Les jeunes embrigadés sont, pour la plupart, en pleine adolescence. Ils sont arrivés à une période de leur vie où ils sont amenés à se poser des questions sur le sens de la vie, l’existence, la justice … « Ils sont tous marqués par une hypersensibilité, une fragilité et une radicalité spécifiques à l’adolescence. Ils construisent leur individualité», précise Dounia Bouzar. Tous les jours, l’anthropologue rencontre des jeunes qui se sont fait embrigader par Daech. Elle les écoute et dialogue avec eux. Elle dit que tous ces jeunes « sont en quête de repère, ils veulent donner un sens à leur vie ». Cathy a confié aux journalistes du reportage « Engrenage » qu’elle n’avait plus confiance en la société et que sa seule volonté était « d’être contre la société ». Elle avait « de la haine pour le monde extérieur, pour ses parents … »
L’état d’esprit que Cathy avait à l’époque où elle se faisait manipuler par des djihadistes derrière un écran, est le résultat de tout un processus d’endoctrinement.


Premièrement, les djihadistes enlèvent au jeune toute confiance en la société et dans les adultes. Ils lui diront, par exemple, que ses professeurs sont payés pour l’endormir et pour le manipuler. Le jeune remet donc en question l’autorité parentale, ses professeurs, le gouvernement ... Les djihadistes vont notamment parler au jeune de la théorie du complot. D'après la définition de L'Internaute, la théorie du complot est une thèse selon laquelle les événements mondiaux sont planifiés par un groupe secret d'hommes dont le but est de dominer le monde. Cette théorie permet de désigner un coupable idéal sans preuve. Puis, les djihadistes inondent le jeune de vidéo-clips et d’images de propagande dont le but est de frapper les esprits.

Image de propagande de Daech

L’aboutissement de ce mécanisme est une rupture du jeune avec tous les éléments de sa vie. La première rupture est celle d’avec ses amis. Le jeune va s’éloigner de ses amis en disant qu’ils sont tous devenus « superficiels » à ses yeux. Ensuite, il va y avoir la rupture avec ses activités de loisirs. Le jeune va arrêter de faire du sport, de la musique ou toutes autres activités en lien avec ses centres d’intérêts. Puis, il entre en rupture scolaire. Il va remettre en cause ses professeurs et cesser d’apprendre. Et pour finir, le jeune va couper les liens avec sa famille et rentre en rupture familiale. Le groupe va remplacer l’identité parentale et dit au jeune qu’il ne doit pas rester avec ses parents car il a été choisi pour appartenir à une « communauté sacrée » et que ses parents ne peuvent pas le comprendre. Quand le jeune est endoctriné par Daech, il peut même alors aller jusqu’à jeter des bouteilles de vin, de parfum, de déodorant ou tout autre produit qui contient de l’alcool car les musulmans ne doivent pas boire d’alcool. Ils peuvent également faire une liste de produits chimiques pour trier les ingrédients qui contiennent de la gélatine de porc et donc trier ce qu’ils mangent. Le jeune va donc finir par ne plus manger avec ses parents, par s’isoler.


Nous avons également remarqué grâce à nos lectures et aux témoignages que nous avons écoutés, que les discours que tiennent les djihadistes aux jeunes ne sont pas les mêmes selon leurs sexes, leurs personnalité… Il y a une individualisation des discours. Ils promettent aux filles un mariage, des enfants, une vie de rêve où elle ne manquera de rien. Ils se servent également de l'argument de l'aide humanitaire, qui consiste à aider les enfants malheureux en Syrie, pour mieux attirer les jeunes filles car elles sont souvent très sensibles au sujet des enfants. Alors que pour les garçons, ils leur donnent un sentiment de supériorité et d'utilité. Les adolescents ont l'impression d'être des héros. Certains jeunes pensent aussi partir pour une « terre promise » appelée « Daech land » par l’anthropologue Dounia Bouzar. Une terre où il n’y aurait pas d’injustice, où tout le monde serait solidaire. Pour écouter l’anthropologue à ce sujet, cliquer ici.    

http://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/les-jeunes-qui-ont-fui-daesh-doivent-temoigner-selon-dounia-bouzar-544043.html